Chronique : Le sens de notre engagement
« Un peu d’eau, de paille et de mil pour la majorité, tel est le sens de notre engagement ». Comme depuis le numéro 00 du Pays, nos convictions sont restées les mêmes : nous voulons être des hommes au service de la liberté. Des années ont passé et nous restons fidèles à notre devise interne de « ne jamais échanger notre plume contre des arachides ». Et nous poursuivrons dans ce sens…
Le régime en place utilise l’arsenal juridique avec des juges et magistrats « acquis » pour réprimer tous ceux qui refusent de fermer les yeux sur leurs politiques assassines. Mais qu’ils se trompent ! Nous irons jusqu’au bout de nos convictions. A leur force matérielle et financière, nous opposerons la force de notre plume, et celle de notre âme. Qu’ils nous menacent ou nous emprisonnent, nous continuerons d’écrire. Qu’ils inventent des rumeurs pour dire que nous sommes de journalistes corrompus ou aigris, nous écrirons toujours pour dénoncer l’incompétence du régime actuel. Tant pis si cela ne plait guère à notre roi. Tant pis si cela dérange ! A leur volonté de nous réduire au silence, nous opposerons la force de notre liberté d’expression, de la liberté tout court. Nous avons fait notre choix et nous ne cèderons pas d’un iota…
Nous connaissons les risques que nous prenons en voulant simplement bien faire notre métier, comme nous l’avons appris. La colère des dieux au pouvoir ne nous fait-elle pas peur ? Si, nous avons peur. Nous avons peur de la peur de notre peuple. C’est cette peur qui nous persécute. Nous avons peur pour l’avenir. Mais de quel avenir s’agit-il ? Nous avons peur pour l’avenir des fils des sans avenir. Nous avons peur lorsque nous interrogeons notre roi : « Monsieur le président, quand votre âme aura quitté votre corps et que votre gloire se sera consumée par l’action du temps, quand aura sonné le dernier instant de votre passage terrestre, qu’auriez-vous laissé au peuple ? Qu’auriez-vous fait de son âme ? ». Nous avons peur lorsque pour certaines questions du genre : que faire ? Où va-t-on ? Qu’allons-nous laisser à la postérité ? Nous avons comme réponse l’écho silencieux des hommes au pouvoir face à la douleur d’un peuple dont ses soldats scrutent en vain l’horizon sans même pouvoir rêver d’un lendemain tranquille. La vie de nos Famas se transforme chaque jour en une mélodie funeste dont le retentissement crée le désespoir dans les cœurs des familles endeuillées. A quand le Mali de la paix ? Nous avons peur lorsque devant de grands maux tels l’insécurité, le chômage, la corruption, l’échec militaire en temps de guerre, nos dirigeants eux-mêmes n’apportent aucune réponse. Nous avons peur quand la peur de nos parents justifie l’anéantissement de notre avenir. Soit parce qu’ils ont peur de mourir, soit parce qu’ils préfèrent subir ou être complices d’un régime inique, sacrifiant ainsi l’avenir de leurs propres fils. Malheureusement, on continue de mourir même dans un pays où l’on a peur de mourir. Nous avons peur, lorsque, en face, les ennemis de la République se déguisent dans les montagnes de Koulouba pour créer la confusion au sommet de l’Etat.
En choisissant notre ligne éditoriale, nous savions que nos écrits dérangeraient le régime en place et les imposteurs politiques. En choisissant de dénoncer une hiérarchie militaire qui vit dans le luxe à Bamako tandis que les soldats meurent dans les régions du Nord, nous avions également choisi notre chemin. Ce qui ne signifie pas d’ailleurs que nous ayons raison. Certains pensent même que nous avons tort de critiquer le régime en place. Seulement, nous faisons partie de ceux qui veulent « boire la soupe de pierres », et c’est un choix. Nous refusons de céder à la facilité. Nous voulons travailler avec tous ceux qui pensent apporter leur contribution dans la construction de la liberté d’expression, mère de toute liberté. Nous remercions surtout tous ces hommes et femmes qui font le sacrifice de nous lire régulièrement.
Henri Levent
Source : LE PAYS