MONDE

LES PUTSCHISTES AFRICAINS ET LES PEUPLES : la danse des aveugles !

Les scènes de liesse, consécutives aux récents coups d’Etat intervenus dans l’espace ouest-africain, relancent le débat sur les aspirations politiques des peuples de notre sous-région. Pour certains, elles sont l’expression d’une lassitude ou un rejet pur et simple de la démocratie, accusée à tort ou à raison de n’avoir pas permis la réalisation des rêves des peuples africains, nés les bouleversements intervenus sur le continent après la chute du mur de Berlin en 1989 et le Discours de la Baule prononcé par le président de la République française François Mitterrand, le 20 juin 1990, dans le cadre de la 16e conférence des chefs d’État d’Afrique et de France, à laquelle étaient invités 37 pays africains.

Le Sommet de la Baule avait sans doute ouvert la voie à des revendications portant sur les libertés civiles et surtout le passage des régimes dictatoriaux des trente premières années de l’Afrique indépendante à des régimes démocratiques investis de la confiance et du mandat populaire. Les peuples d’Afrique avaient ainsi lutté, souvent au prix du sang pour obtenir cette denrée qu’est la démocratie même si, on le sait assez bien, dans certaines contrées elle n’avait été que de façade.

Mais comme un système politique porte toujours et souffre bien souvent des vestiges du passé qui lui a donné naissance, l’expérience démocratique en Afrique a ainsi été bien souvent rythmée d’interruptions consécutives à des coups d’Etat militaires dont la fréquence a été si importante et la lecture si variée, qu’elles remettent sur la tables la question des vraies aspirations politiques des peuples du continent.

Nous ne savons pas s’il nous faudra des sociologues ou des anthropologues pour aider à une meilleure lecture des comportements des populations africaines suite à une interruption du processus démocratique par un coup d’Etat militaire. Néanmoins, ce dont nous ne doutons point est que tous les coups d’Etat intervenus sur le sol africain depuis les indépendances ont été suivis des scènes de liesse à l’image de celles que l’on a observées récemment en Guinée, au Burkina Faso et même au Mali.

Et pour ce qui est des coups d’Etat ayant mis fin à des régimes civils de la période d’après la Baule, puisque c’est surtout d’eux qu’il s’agit, la lecture des comportements à chaud des populations a été tellement diversifiée et souvent même tendancieuse, que nous trouvons utile de prendre le temps de questionner notre passé démocratique récent. Une constante doit à mon avis retenir notre attention: après l’euphorie des scènes de liesse, à chaque fois qu’un putschiste se mue en homme politique pour organiser une parodie d’élection et se maintenir au pouvoir, il a toujours eu le peuple dans son dos. Les expériences du Niger en 1996 et de la Guinée en 2009 entre autres, mettent cela hors de doute.

Au demeurant, les populations en liesse le jour d’un coup d’Etat ne sont jamais dans la rue pour applaudir ou accueillir le putschiste qu’elles découvrent bien souvent un, deux à trois jours après. Il faudrait aussi naturellement admettre que ces populations ne sont jamais les partisans du régime renversé et feraient les mêmes scènes de liesse si le régime était renversé une semaine seulement après que le président ait été investi.

Elles applaudissent la fin d’un régime qu’elles ne voient point comme étant le leur et non le coup d’Etat lui-même et c’est bien à ce niveau que se pose le besoin de discernement. Cela prouve à suffisance qu’il ne s’agit ici que de manifestations de joie exprimées par des personnes voyant plutôt une nouvelle chance pour que leurs leaders émergent suite à de prochaines élections. Il s’agit ici de la réalité des faits sur notre sol et non du droit en tant que tel car, la civilité voudrait aussi que l’on soit tolérant face à un régime pour lequel l’on n’a pas voté, la démocratie étant calquée sur la loi de la majorité.

Même si ce comportement n’atteste pas de leur attachement à la démocratie en tant que telle, n’ayant pas pu supporter leur vie et leur rôle d’opposants, il n’en demeure pas moins qu’il atteste de leur profonde aspiration à une élection qui pourrait conduire au sacre de leurs leaders. C’est ce qui explique que si les putschistes les comprennent autrement, ils les reverront encore plus furieux sur leur chemin, à la différence surtout que là ils seront plus forts, étant côte à côte avec les partisans du régime renversé.

Il ne s’agit donc pas, comme le font certains intellectuels, de constater qu’il y a des scènes de liesse et des applaudissements, mais plutôt de toucher du doigt la réalité derrière ces comportements, si notre volonté est vraiment de situer et de résoudre les problèmes du continent. Le rôle des intellectuels est d’éclairer les citoyens sur la dynamique des faits sociaux et non de tout juste leur raconter ce qu’ils peuvent constater d’eux-mêmes.

Au Mali voisin, si le colonel Goïta se mue en civil après sa transition pour chercher à reconquérir le pouvoir par les urnes, ce sera l’occasion pour lui de savoir si les Maliens qui étaient dans la rue le 14 janvier l’étaient véritablement pour lui ou non. Il pourra manipuler les élections, mais il ne pourra supporter le poids du peuple malien dans son dos. C’est pourquoi, j’ai toujours vu les noces entre les putschistes africains et les peuples comme une dans des aveugles. Personne ne perçoit les vraies motivations de l’autre pour créer une harmonie et tout finit toujours dans le mur.

Asmane Saadou.

Source : Le journal

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