« Nous ne sommes pas vos hommes, laissez-nous travailler ! »
La situation sécuritaire au centre du Mali impacte les activités économiques et par ricochet entraine la famine. Chose qui n’est pas sans conséquence pour tout le pays. Dans cet article fictif, nous vous expliquons quelques paramètres de cette situation.
Dieudonné est un agriculteur âgé d’au moins 30 ans. Il vit dans la région de Mopti. Une zone en proie à une violence sans précédent depuis quelques années. Cette situation s’est tellement aggravée jusqu’à compromettre l’agriculture ainsi que l’élevage dans la zone. Boubou qui est l’ami intime de Dieudonné dans cette localité s’est retrouvé sans troupeau.
L’agriculture et l’élevage fondent le Mali. Ces deux activités rythment la vie notamment au centre du Mali. Toute la vie de Dieudonné est tournée vers l’agriculture tout comme celle de son ami est essentiellement orientée vers l’élevage. Les deux hommes n’ont connu que ça. D’ailleurs, c’est des activités ataviques dans leur famille. Les deux jeunes ont lié une véritable amitié depuis leur tendre enfance et chacun entretenait son activité avec enthousiasme. Chose normale puisque c’est ce qui leur permet de prendre en charge leur grande famille d’une dizaine de personnes chacune dont la majorité est composée d’enfants et de femmes.
Dans ce village, Dieudonné est pratiquement le seul chez qui l’hivernage prochain vient trouver le reste des céréales du précédent. Cela, malgré qu’il effectue des gestes de solidarité en venant en aide aux familles dans le besoin. Son slogan a toujours été : « La terre ne trahi jamais ». Son ami Boubou a toujours admiré son courage et son intelligence voire son humanisme. Quant à cet enfant peul, lui aussi entretenait plus d’une centaine de têtes de bœufs grâce auxquelles il appuyait beaucoup les populations en leur fournissant de temps en temps du lait ou de la viande à l’occasion des fêtes. On aurait dit qu’une forme de troc s’était installée rendant ainsi la vie agréable pour chaque habitant.
Mais le malheur de ces deux jeunes gens n’a pas tardé à se manifester. Toute la région est frappée par une crise dont l’origine n’est pas clairement définie. Des centaines d’hommes sont assassinés sur les chemins des champs, des marchés, de la brousse, à la bergerie, etc. On parle de « crise intercommunautaire » ou « intracommunautaire. »
Suite à ces exactions, Dieudonné a perdu deux de ses enfants, Bina et Almoudou, ainsi qu’une de ses femmes, Sira. Comme conséquence, il y a une impossibilité patente de pratiquer l’agriculture. Toutefois, bien vrai que les autres ont préféré ne plus venir aux champs, Dieudonné s’est débrouillé l’année dernière à cultiver deux hectares parmi ses six hectares. Mais quand le malheur décide de nous jouer son tour, impossible d’en échapper. Les deux hectares du jeune cultivateur sont inondés par les fortes pluies qui ne cessaient de s’abattre. « Que vais-je devenir ? Qu’ai-je fait à Dieu pour mériter tout ça ? Oh, mes ancêtres ! Seriez-vous en colère contre moi ? Pour quelle raison ? Pourtant, je vous ai toujours obéi. »
Autant de soliloques de la part de Dieudonné confus. La famine finit par s’installer dans le village. Deux fils du cultivateur prennent la route de l’exil pour mourir de soif dans le désert. Trois autres membres de la même famille rejoignent un camp de déplacés dans la capitale. D’autres encore sont accueillis dans des camps de réfugiés dans des pays voisins. Resté avec quelques enfants et une femme, Dieudonné espérait sur un lendemain meilleur. Il calculait sur l’hivernage qui commençait afin de retrouver sa place de leader agricole et vaincre ainsi la famine.
Malheureusement, le statu quo n’a pas changé. Les violences ne connaissent aucun répit. Les tueries en grande pompe se poursuivent. Toutes les activités économiques sont au ralenti. Son ami Boubou a été privé de tout son troupeau et une bonne partie de sa famille rasée.
En conséquence, le jeune cultivateur ne cessait de s’adresser aux auteurs de ces attaques à répétition : « Laissez-nous travailler nos champs, laissez-nous entretenir nos troupeaux ! Nous ne sommes pas vos hommes. On ne vous a rien fait. Allez négocier plutôt avec les autorités. Epargnez la vie de nos enfants qui meurent de faim. Epargnez notre vivre-ensemble séculier !»
Dieudonné a alors été obligé de rejoindre le Kénédougou en compagnie de son ami Boubou où ils exercent tous deux le jardinage ainsi que l’agriculture. Ils ont fini par inviter le reste de leur famille à venir se joindre à eux à Sikasso en attendant que la situation se calme au centre du pays. Néanmoins, ici, Dieudonné recouvre sa place de leader agricole et Boubou a réussi à s’acheter quelques têtes de bœufs. Le coton de Dieudonné a été une exception nationale.
Toutefois, toute la pensé du cultivateur et de l’éleveur reste tournée vers leur village pour lequel ils ne cessaient de demander aux autorités des solutions rapides parce que rien ne vaut que le chez-soi.
Les deux amis malgré les allégations communautaristes sont demeurés ensembles dans l’entraide parfaite comme l’a toujours été leurs aïeux.
Fousseni Togola
Source : LE PAYS