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Dr. Tiefing SISSOKO, Enseignant-chercheur en Sciences de l’éducation au président de la république : « L’École Malienne adjure votre bienveillance d’agir en conformité avec le bon sens ! »

Dans une lettre ouverte, Dr. Tiefing SISSOKO, Enseignant-chercheur en Sciences de l’éducation a interpellé le président de la république Ibrahim Boubacar Keita concernant la crise de l’école malienne. Lisez la lettre ! 

                                                                                  S.E Ibrahim Boubacar KEITA

                                                                         Président de la République du Mali

République du Mali

BP 10 Bamako (Mali)

                                                           Le 14/03/2019           

Monsieur le Président de la République,

J’entends l’École Malienne !

Je l’entends murmurer votre nom !

L’École Malienne est en souffrance !

Elle est en souffrance depuis trop longtemps !

L’École Malienne adjure votre bienveillance d’agir en conformité avec le bon sens !

Monsieur le Président,

Si la parole était laissée un tant soit peu à L’École Malienne, voici une illustration de ce que pourrait être ses propos…

« Je suis l’Ecole Malienne. Je porte ce nom car mes parents ont décidé de m’appeler ainsi. Je suis le fruit d’un métissage fécond. De mes parents, j’ai reçu les meilleurs gènes qui se trouvent dans l’ordre de la nature, dans l’ordre de la culture et dans l’ordre de la raison. Ma socialisation ne s’est pas faite sans heurt. Des crises et des courants de pensées divers, j’ai su trouver ma voie. Ma seule et unique vocation est celle de l’éducation. Je me charge de la socialisation des enfants de la Nation. Des enfants que je rencontre sur mon chemin par la volonté et par les choix des acteurs de cette même Nation. J’ai beau cherché, je peine encore malheureusement à retrouver tous les enfants sur ce chemin. Des milliers de ceux-ci sont encore enfermés dans des cavernes avec pour seules réalités : l’obscurantisme, le désespoir et le chaos. Tout ce que je contribue à combattre. Et d’ajouter que ma capacité d’accueillir tous les enfants et d’agir efficacement contre tous ces fléaux ne laisse aucune place au doute. Je suis née pour apporter la lumière. Je suis née pour accomplir cette grande mission. Je ne cesse de m’exprimer à ce sujet. J’exprime sur mes doutes. J’exprime sur mes craintes. J’exprime aussi sur mes espoirs. Je murmure ces propos aux oreilles de celles ou de ceux qui y prêtent attention. Je les murmure aux oreilles de celles ou de ceux qui veulent l’entendre. Je les murmure enfin aux oreilles de celles ou de ceux qui peuvent l’entendre.

Après cette présentation en guise d’entrée en matière, moi l’École Malienne, je vous parle à présent de mes préoccupations devenues récurrentes au point de porter sévèrement atteinte à la façon dont j’assume ma vocation. Mes murmures sont parfois entendus, mais pas toujours compris. Les colères des élèves, des familles, des enseignants et des institutions sont autant de manifestations de ces murmures liées à mes inquiétudes et à l’absence de réponses à mes préoccupations.  Pour être didactique, après tout n’est-ce pas ce que l’on attend de moi, j’aborderai ces sources de désagréments en trois points : les acteurs, la gouvernance et les valeurs.

Les Valeurs

Quelles sont les valeurs fondamentales qui me caractérisent ? Je dirai celles que la Nation Malienne dans sa sagesse a bien voulu m’attribuer. A mon tour, je transmets ces valeurs aux jeunes générations pour leur permettre de mieux comprendre le monde et de s’épanouir dans ce monde. Malheureusement, mes valeurs traditionnelles ont été corrompues par des contrefaçons. Pour utiliser un langage moderne, je dirais que ces valeurs sont corrompues par des virus. Des virus si efficaces qu’ils ont pris la place des valeurs. Je constate avec amertume les dérives morales influencées par les cavernes. C’est le cas, lorsque des armes sont utilisées sur mes territoires pour terroriser mes enfants au lieu de les protéger. C’est le cas, lorsque mes enfants, assoiffés de connaissances, sont violentés au lieu d’être accueillis avec bienveillance. C’est le cas enfin, lorsque les autorités, des échelons inférieurs au plus haut, brandissent le matérialisme (ma belle voiture, mon super avion, etc.) et la corruption financière comme principes supérieurs au lieu d’inscrire le travail et la discipline comme valeurs primordiales. Monsieur le Président, allez-vous observer passivement l’expansion de ces virus ? Le système que je représente a besoin d’antivirus pour éliminer les menaces. Il a besoin aussi de ressources pour mieux asseoir les valeurs. Quelles réponses adéquates allez-vous apporter face à ces préoccupations ?

Je ne parle pas ici des investissements financiers ni de la part du budget que vous me consacrez tous les ans. Je parle des valeurs communes à inscrire dans les pensées. Et je parle des valeurs communes à inscrire dans les actes dans l’espoir d’un monde nouveau. Ce Nouveau Monde exige une transformation radicale. D’une société orientée vers le profit immédiat aujourd’hui, il me faut construire pour demain une société qui apprend à ses enfants à différer le plaisir et à travailler avec discipline pour atteindre le bonheur. La personne et son caractère sacré occupe toute sa place dans cette société de mes rêves. Des valeurs, il nous faut les ériger, des modalités il faut en trouver pour récompenser le respect des valeurs. Qu’en pensez-vous Monsieur le Président ?

Les acteurs

J’ai beaucoup de chance d’avoir un si grand nombre d’acteurs qui prennent la parole à mon sujet. Cela ne m’effraie guère. J’ai moi-même été élevée dans cette diversité. De cette diversité, j’ai construit des ressources toujours plus innovantes et toujours plus adaptées à mes enfants, à vos enfants. Et surtout, je ne me lasse pas de murmurer des mots sur ce qui me représente.

Des propos tenus par un si grand nombre d’acteurs pour être profitable à mon système nécessite davantage de pédagogie, d’association et de leadership. Les acteurs sont aujourd’hui mécontents de ce système. Certains sont animés par des enjeux qui me dépassent. Pour d’autres, je suis particulièrement sensible à leurs cris. Je parle de ces nombreux enfants de pauvres accueillis dans mes établissements. Je ne parviens plus à assurer à ceux-ci les moyens d’échapper aux conditions de leur naissance. La pauvreté se transmet en héritage irrefusable. Le passage dans mes établissements n’a pas l’air d’y changer quelque chose. Les voyant pleurer, je ne peux m’empêcher de pleurer avec eux. Monsieur le Président, entendez-vous ces cris des enfants du peuple ? fantan kulé la déou !Entendez-vous les cris de ceux qui veulent échapper à la caverne par tous les moyens possibles ? Si vous les entendez, quelles dispositions allez-vous prendre pour favoriser les meilleures conditions d’apprentissage dans tous mes établissements ?

Monsieur le Président, vos enfants réclament votre bienveillance. Ils vous demandent de ne pas « vous laver les mains de leur sort ». Il ne leur reste plus que mes établissements pour assurer leur développement et leur épanouissement dans une société qui ne leur fait pas de cadeau. Une société qui continue d’accentuer les inégalités selon les groupes sociaux d’appartenance. Moi, l’École Malienne, je vous assure d’être juste et équitable à la condition de m’appuyer davantage. J’y arriverais, surtout si vous m’attribuez des ressources humaines adaptées et pointues pour assurer pleinement ma mission. J’y arriverais parce que c’est ma vocation.

La gouvernance

Ai-je bien entendu dire « année blanche » ? Les mauvaises habitudes ont la vie dure, disais-je dans une formule devenue référence. Monsieur le Président, n’avez-vous pas tiré tous les enseignements de l’année blanche de 1993 ? J’y étais ! J’ai vu des scolarités brisées. J’ai vu des enfants sombrés dans la délinquance car il fallait trouver des occupations. J’ai murmuré mes inquiétudes au sujet de cette aberration insupportable. Malgré tout, de nombreuses autres années blanches ont été décrétées. Monsieur le Président, allez-vous me laisser sombrer et me transformer moi-même en caverne ? Je soulève ici la douloureuse question de ma gouvernance. Cette gouvernance doit être respectueuse de ma nature. Cette nature qui refuse avec force l’amateurisme. Une gouvernance qui me respecte est celle qui établit une culture de production d’informations afin d’éclairer les prises de décision sur mes orientations spécifiques. Une gouvernance qui me respecte est celle qui ne laisse pas les enfants dans les rues plusieurs mois sans parvenir à des accords avec les acteurs concernés. Une gouvernance qui me respecte enfin est celle qui réfléchit et qui trouve de nouvelles modalités organisationnelles pour mieux satisfaire les populations. Monsieur le Président, quelles réponses apportez-vous face à ces inquiétudes ?

Je me limite à ces trois dimensions : les valeurs, les acteurs et la gouvernance pour ce premier échange avec vous. Les questions soulevées nécessitent des réponses urgentes et adaptées. Je sais que vous y accorderez la plus grande attention. Je me souviens de vous. Je me souviens vous avoir rencontré sur mon chemin il y a déjà quelques décennies… »

Monsieur Le Président,

J’ai bien voulu porter cette parole devant vous et devant le peuple Malien.

J’ai entendu murmurer votre nom !

Je l’ai entendu par l’École Malienne en souffrance !

J’ai porté volontiers ce message au nom de tous #LesPetitsStylos qui ont entendu le même message.

Nous attendons vivement votre réponse

Veuillez, agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma très haute considération.

Copie : Monsieur le Ministre de l’Education Nationale

P.S Toutes les personnes qui partagent ces préoccupations peuvent imprimer signer la lettre puis l’envoyer à la Présidence de la République du Mali.

Dr. Tiefing SISSOKO Enseignant-chercheur en Sciences de l’éducation

Source : www.lepays.ml

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