Le Mali en trois expressions : intifada, État policier, rabattre le caquet
Après avoir pris le risque, bravé des gaz lacrymogènes et renversé, le 18 août 2020, le défunt régime d’Ibrahim Boubacar Keïta, ancien président de la République du Mali, les Maliens demeurent inlassablement confrontés, depuis un moment, à une vague d’arrestations extrajudiciaires de leaders de partis politiques, d’associations, voire de journalistes. En pleine journée, des personnalités sont enlevées par des hommes armés cagoulés au cœur même de la capitale malienne, puis disparaissent sans laisser aucune trace de leur destination. Cette situation, visant à réduire au silence les opposants du pouvoir, reste de plus en plus inquiétante.
L’histoire de la transition en cours est partie d’un soulèvement populaire. Des partis politiques, mouvements et associations à caractère politique du pays se sont unis au sein d’un regroupement dénommé M5-RFP. C’est partant de la lutte héroïque de ce Mouvement du 5 Juin – Rassemblement des Forces Patriotiques que le régime d’Ibrahim Boubacar Keïta, alors président démocratiquement réélu, a chuté. Ce qui a conduit le Mali à cette transition en cours depuis le 18 août 2020. Avec la rectification de la transition, l’espoir se transforme en drame. Les enlèvements deviennent de plus en plus fréquents. Des journalistes, leaders de partis politiques et d’associations, visiblement opposés à la trajectoire de la transition, sont la cible de cette vague d’arrestations.
Vers un État policier qui rabat le caquet
Ce type d’État fait allusion à un gouvernement qui exerce son pouvoir de manière autoritaire et arbitraire par le biais des forces policières. Par conséquent, les populations sont limitées dans leur liberté d’expression, de circulation et peuvent faire l’objet de diverses coercitions ou de tortures. Ils sont nombreux, au sein de la société, à dénoncer une gouvernance où de nombreuses personnalités sont victimes d’enlèvements aussi bien à Bamako que dans d’autres localités du pays.
En avril 2023, le journaliste Aliou Touré, directeur de publication de l’hebdomadaire « Le Démocrate », a été arrêté par des hommes armés et cagoulés pour disparaître avec lui dans la nature. C’est quelques jours plus tard qu’il sera libéré par ses ravisseurs. À ce cas s’ajoute l’enlèvement, en date du samedi 28 décembre 2024, d’Ibrahim Nabi Togola à l’ACI 2000 de Bamako, entre 9 h et 10 h, encore par des individus armés non identifiés à bord d’un véhicule Prado noir, vitres teintées. Le président du parti VNPM n’a été libéré que le 10 février 2025. La liste des victimes s’allonge avec Daouda Magassa, un proche de l’imam Mahmoud Dicko. Ce dernier a été enlevé dans la soirée du 5 février dernier par des hommes, alors qu’il sortait de la mosquée. Son enlèvement a eu lieu au moment où des préparatifs étaient en cours pour l’accueil, le 14 février 2025, de l’imam Mahmoud Dicko, qui devait venir d’Alger. Pour avoir dénoncé la taxation sur les opérations téléphoniques, Aliou Badra Sacko, militant influent de la société civile malienne, leader du mouvement « Touche pas à mon argent », a été lui aussi enlevé le 14 mars dernier. Ce dernier demeure actuellement entre les mains de ses ravisseurs.
Les derniers cas de ces enlèvements datent de la disparition d’El Bechir Thiam, membre du parti Yelema de Moussa Mara, et d’Alassane Abba, secrétaire général du parti CODEM. Le premier a été enlevé à Kati, le second l’a été entre 19 heures et 20 heures, le jeudi 8 mai 2025, à son domicile à Bamako.
Même si certains d’entre eux ont été libérés, on ne peut poursuivre cette liste sans citer les cas d’Abdrahamane Diarra, président des jeunes de l’URD, de Youssouf Daba Diawara de la CMAS, ainsi que d’Abdoul Karim Traoré…
Tant sur les réseaux sociaux qu’au sein de la société, de nombreux citoyens commencent à en avoir assez de cette situation qui n’épargne personne — en tout cas, celles et ceux qui osent dénoncer la trajectoire de cette transition, qui dure déjà cinq ans.
Quand la fissure de la classe politique empire la situation
Tel que prévu dans la Constitution, la période de transition est une période exceptionnelle. C’est un moment où les hommes politiques devraient faire preuve de prouesse, d’abnégation et d’union sacrée autour de la défense des idéaux de la démocratie. Au lieu de s’unir pour jouer pleinement ce rôle, les acteurs politiques ont plutôt voulu se régler des comptes.
En plus de saluer des actes du gouvernement, certains politiques se sont affichés en soutiens à la transition livrant à cette dernières les armes nécessaires pour abattre leurs adversaires politiques. En bon stratèges les militaires ont appliqué ces mêmes leçons pour se débarrasser de toute la classe politique. Depuis, ils agissent sans état d’âme en s’attaquant à toutes celles et ceux qui envisageraient de barrer la route à leur dynamique.
Même si bon nombre de Maliens ne se reconnaissent pas dans ces arrestations extrajudiciaires, ils demeurent tout de même conscients que certains de ces mêmes politiques ont contribué à l’instauration de cette situation, par leur mauvaise gouvernance marquée par le favoritisme, la corruption et bien d’autres maux qui les ont jetés dans le discrédit.
Urgence de l’union sacrée autour du pays
De nos jours, le Mali fait face à de nombreux défis, à savoir le défi sécuritaire, économique, social… Avec l’épineuse question de l’électricité et la brouille diplomatique entre le pays et certaines puissances, presque tous les secteurs du pays connaissent aujourd’hui des difficultés.
Dans un contexte confédéral, le Mali partage de nombreux autres défis avec le Burkina Faso et le Niger. C’est pourquoi, en lieu et place de querelles endogènes, les citoyens doivent impérativement se donner la main pour relever ces défis, qui sont : économiques, les vastes chantiers de la refondation, la construction d’un État de droit susceptible de répondre aux aspirations légitimes du peuple.
Est-il possible de réussir ce pari dans un État policier ?
Mamadou Diarra