Interview

Choguel Kokalla Maiga sur la Radio Adar Koima de Gao : « L’objectif inavoué du Dialogue politique inclusif est la légitimation des projets de révision constitutionnelle et de découpage du territoire »

Dr. Choguel K. MAIGA a accordé une interview à Malick Aliou MAIGA, journaliste à la Radio Adar Koima, diffusée le 26 Août 2019 à 20h, et qui lui a valu d’être interpellé par les autorités. D’ après son récit des faits, relatés le lendemain sur les radios privées de Gao, il a été kidnappé  vers 23 h par des hommes armés encagoulés qui l’ont mis dans un sac et transporté  vers  une destination  inconnue. Il aurait subi un interrogatoire musclé avec des menaces de mort, avant d’être relâché vers 00h, insulté et dépouillé de l’argent qu’il avait sur lui. Bien qu’il soit remis en liberté, cet enlèvement a suscité une véritable vague d’indignation des populations de Gao et de tous les animateurs des radios privées de la région qui lui ont manifesté leur solidarité en passant dès le lendemain en boucle, l’interview incriminée. La  gendarmerie a ouvert  dès le lendemain une enquête.

Radio Adar : Bonjour Dr Choguel k. MAIGA, Président du Mouvement Patriotique pour le Renouveau(MPR).   Merci d’avoir bien voulu répondre à nos questions. Dr. Choguel MAIGA, le Gouvernent du Mali prépare un Dialogue Politique Inclusif (DPI), que pensez-vous de ce Dialogue ?

Choguel Kokalla Maiga :

Je voudrais  saluer l’ensemble  des populations du Nord : Gao, Tombouctou, Kidal, Ménaka et Taoudénit. Dire aux populations de Gao de conserver  la bravoure et  la détermination dont elles ont fait montre pendant et après l’occupation

En effet, l’histoire contemporaine de notre pays retiendra qu’en 2012, après le départ de l’administration, des forces armées et de sécurité, ce sont les populations aux mains nues  qui se sont organisées pour défendre le drapeau malien, l’intégrité de notre  territoire au prix de leur vie. Ce combat noble et nécessaire devrait continuer jusqu’à la libération totale de notre pays et au recouvrement   de son  intégrité territoriale. Les  braves populations  devraient continuer la veille citoyenne  pour la défense des intérêts de leur région. Ce sont  aussi, les populations de Gao, qui  au prix du sacrifice ultime,  ont  refusé  en 2016, la trahison qui a consisté à  installer,  à la place des organes démocratiquement élus par les populations, des  autorités intérimaires illégitimes, désignées par les mouvements armés et qui ne sont prévues nulle part dans l’Accord d’Alger.  Je leur dis  enfin de continuer à rejeter toute idée ou projet de partition de notre pays.

En outre, tous les observateurs avertis savent bien,  que ce DPI  ne vise  en réalité  que la révision  constitutionnelle. Le gouvernement soulève beaucoup de questions secondaires mais l’objectif caché, c’est bel et bien la révision constitutionnelle. Le régime  voudrait  simplement tromper la vigilance du peuple.

Vous aurez constaté déjà  à travers les TDR,  que c’est le gouvernement qui choisit la majorité des participants. Ceux-là qui sont acquis à l’avance à sa cause notamment les institutions, l’administration, les partis de la majorité,  les associations partenaires du pouvoir etc. Une portion congrue est  réservée aux Forces politiques  et sociales significatives opposées au régime.  Ainsi, par exemple sur 1000 invités, le gouvernement désignera  80 à 90% des participants. C’est pour dire,  après le dialogue,  que la majorité des participants ont demandé la révision constitutionnelle, ont approuvé ceci ou cela.

Donc, la stratégie du gouvernement,  c’est d’organiser un DPI déjà miné pour faire passer la pilule de  la révision constitutionnelle. Si le dialogue se tenait  dans de telles  conditions,  le gouvernement, dira que, c’est le peuple à travers le DPI qui a demandé la révision constitutionnelle.

Que personne n’accepte cela.  Ceux qui participeraient  au DPI, devraient savoir que l’objectif principal visé, c’est la révision constitutionnelle. Qu’il soit clair pour tous que, si la révision  constitutionnelle se réalise  sans le rétablissement de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire, la présence effective  des préfets et sous-préfets dans les régions de Gao, Tombouctou, Kidal , Ménaka et Taoudenni, que c’est  la partition de fait de notre pays. Que personne ne vienne dire  après coup qu’il ne savait pas.

Cela voudrait dire que  le DPI ne vise  en réalité que la révision constitutionnelle ?

 Le gouvernement ne le présente  pas clairement ainsi. Il fait croire au peuple que c’est pour restaurer la paix, la sécurité et le développement. Mais, dans le fond, c’est la révision constitutionnelle que le gouvernement vise à travers ce DPI.

Dr. Choguel MAIGA, que pense l’Opposition de ce DPI ?

Dans l’entendement de  l’Opposition, pour créer les conditions d’un dialogue utile,  il faudrait d’abord  créer les conditions de  retour  de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du pays. Sans cela, nous irons inévitablement à  la partition programmée du pays. Le gouvernement a envoyé les projets de  TDR  du DPI. Les acteurs réagiront  certainement dans les jours à venir. Mais tout cela relève de   la diversion. Au moment où, les populations sont tuées en masse,  la paix et la sécurité restent  à établir, il n’y a pas de routes, d’administration, ni d’école,  le gouvernement ne trouve  rien d’autre à proposer qu’un  DPI biaisé, dont l’objectif inavoué est la légitimation des projets   de  révision constitutionnelle et de découpage du territoire.

Dr. Choguel MAIGA,  restons sur la question de la route Gao –Sevaré, nous avons vu les jeunes de Kati qui sont sortis pour interpeller le gouvernent sur l’état des routes. Le gouvernement est en train de prendre des dispositions pour le redémarrage des travaux de reconstruction de la route. Vous êtes ressortissant de la région de Gao, quel est le problème. Pourquoi la route Gao-Sevaré n’est pas  reconstruite ?

Déjà en 1996,  en tournée à Gao, j’avais demandé aux populations  de me dire leur préoccupation première qu’elles souhaiteraient que je réalise, si j’étais élu, Président de la République. Elles ont répondu, la route Gao- Labezzanga.  J’ai rétorqué que cette route ne  fait  que 250 km. J’ai rappelé  également les conditions difficiles et inhumaines  des voyageurs de la route Gao-Sevaré avant sa réalisation  en 1986. J’ai dit aux populations  de Gao que   tout le Mali    pouvait reprocher le manque de réalisations au  régime de Moussa Traoré  sauf elles.  C’était le moment où dans l’euphorie,   insulter  le régime de Moussa était à la mode. Certains avaient pensé en son temps, que c’était une façon malicieuse de défendre le régime de l’UDPM.  Aujourd’hui  les populations de Gao comprennent la duperie dont elles ont été victimes. On se rappelle que pendant plus d’une décennie entre (1992- 2002),  à  l’approche de chaque élection, le régime   envoyait  des techniciens sur le terrain pour faire semblant de démarrer les travaux de construction de ladite route. Ce n’est que sous  ATT que la route  GAO-Labezzanga a pu être  construire

En effet, l’armée a été  détruite et l’Etat se trouve incapable  d’assurer la paix et la sécurité des personnes et des biens. Il n’y a pas de démocratie sans armée forte. Une démocratie qui n’assure pas la sécurité des personnes et des biens conduit à l’anarchie et au désordre. 

Le régime actuel  a promis à plusieurs reprises la reconstruction de la route Sevaré-Gao sans suite.  Ils ont annoncé le bouclage du financement, d’abord en 2014, au retour de IBK de Chine. Ensuite en 2017, ils ont parlé d’un financement de l’Arabie saoudite de ladite  route mais aussi de  l’Aéroport de Kidal.

Je pense que les populations devraient occuper toutes les voies empruntées par les autorités. Elles devraient exiger la reconstruction de cette route. Elles ne devraient plus  écouter les fausses promesses à l’approche des élections. Sans leur détermination, cette route ne sera jamais construite.

S’agissant des populations de Kayes, ce régime leur a  menti  d’où cette révolte pour remettre les autorités devant leurs responsabilités. On se rappelle que les  autorités ont plusieurs fois affirmé le bouclage du  financement de la route Kayes –Bamako, du chemin de fer et du parc des locomotives.   En 2017, le ministre de l’Equipement et des transports a affirmé devant les députés que le financement de ladite  route était acquis. Elle a repris la même promesse dans un communiqué rendu public. Tout  Cela s’est avéré faux. La population de Kati a pris alors les autorités en flagrant délit de mensonge. C’est pourquoi, les  populations exigent  des mesures concrètes et des promesses fermes.

Je demande à l’ensemble des populations de rester déterminées sur l’ensemble du territoire pour défendre leurs intérêts. Ce régime n’écoute que les groupes  de pression et les groupes armés.

Malgré la présence de plusieurs armées étrangères sur notre sol, la paix et la sécurité ne sont  pas de retour. Quelles sont vos impressions ?

CKM : Avez-vous déjà vu, un pays dans lequel, une armée étrangère a apporté  la paix ? L’ONU est en RDC, RCA depuis des années mais sans paix. J’avais dit au Représenté Spécial du SG de l’ONU au Mali, que le peuple  malien se sent  floué. Car dans l’imaginaire populaire,  la Communauté Internationale avait été sollicitée en nom pour aider notre pays à recouvrer son intégrité territoriale et assurer la paix et la sécurité. Malheureusement, c’est cette Communauté Internationale qui a empêché l’armée malienne de renter à Kidal. Ils affirment qu’ils sont là pour maintenir une paix qui n’existe pas. Au même moment, ils construisent des bases et achète des dizaines d’hectares de terrains dans plusieurs localités. Ce  qui démontre clairement qu’ils ne voudraient pas  quitter notre pays de sitôt. Les populations devraient  demander au gouvernement d’exiger  plus d’engagement de la communauté internationale.

Nous constatons ces derniers temps des détournements massifs des biens publics.

CKM : Les détournements sont  moins graves que  les  pertes massives en vies humaines. Les morts se comptent en dizaine voire centaines par jour au Mali. Des communautés s’affrontent. Au même moment ici à Bamako, les autorités sont dans les séminaires, les ateliers,  les cérémonies, les congratulations, les décorations, les fêtes,  etc. Les populations devraient dire à ce  pouvoir : ça suffit ! Ce pouvoir a complétement échoué, comme on dit en bamanakan,  « ADESSERA »

Parlant de l’Accord Politique de Gouvernance (APG), y a-t-il eu trahison ?

CKM : Aujourd’hui,  même aux lieux de funérailles, les autorités et leurs représentants ne parlent que de l’Accord Politique de Gouvernance(APG). En réalité, ayant  participé à la rédaction des premières versions  du projet de cet Accord, j’affirme que l’opposition avait estimé qu’il fallait, au regard des périls qui pèsent sur la nation et notre pays, menacé d’effondrement, se retrouver autour de IBK, malgré les conditions désastreuses de son élection,  pour sauver le Mali.  Chacun sait qu’il  n’y avait pas eu d’élection transparente en 2018. Dans le Nord par exemple, ce sont les groupes armés qui  ont supervisé les élections et attribué à IBK le score qu’il souhaitait.  A Kayes, ils avaient promis de payer   les salaires des cheminots et des retraités des chemins de fer et mettre en service  de nouvelles locomotives.  A Mopti, ils ont promis la paix et la sécurité.  L’Opposition, de bonne foi, avait estimé qu’il fallait faire l’Union sacrée autour du Président pour sauver notre pays. Pour ce faire, il  sera   nécessaire de changer la façon de gouverner.  Ensuite, dans l’Application de l’accord pour la paix et la Réconciliation, éviter tout ce qui pourrait conduire à la  partition du  pays, à court, moyen et long termes. Enfin, la  sécurité des personnes et des biens et le recouvrement de l’intégrité du territoire devraient  constituer  les priorités n° 1 de l’action du gouvernement.  Par la suite, nous  avions compris que les  priorités de IBK ne  sont autres que : la révision constitutionnelle, l’Application de l’Accord d’Alger et la mise en œuvre du programme de IBK «  ANGA BALIBA BE KATAGNE ». L’Opposition a  alors refusé de les suivre dans cette démarche. Notre combat, c’est pour le Mali et non pour les  postes de  ministres.    Ainsi,  ils  se sont entendus avec certains leaders politiques qu’ils ont pris dans leur gouvernement. Ils ont copté deux personnalités de l’Opposition dans un gouvernement   de 38 postes ministériels,  qu’ils ont abusivement appelé,  « gouvernement   de large ouverture ». Malgré tout, nous respectons leur choix.

Aujourd’hui, certains citoyens pensent que l’opposition a abdiqué. Non ! Nous avons voulu simplement donné le temps pour que les  citoyens constatent  par eux-mêmes que rien n’a changés dans la gouvernance.  C’est malheureusement le constat aujourd’hui. La population découvre avec stupéfaction que pendant que   le pays est  en guerre, 1300 milliards de FCFA sont sortis des caisses de l’Etat pour la mise en œuvre de la  Loi d’Orientation et de programmation militaire, alors que la  situation sécuritaire se dégrade de jour en jour. Sur six (06) avions commandés, O4 ont été réceptionnés et personne ne sait où est  parti l’argent destiné à l’achat des deux autres avions. Les  04 avions réceptionnés ne sont pas non plus  fonctionnels pour le combat. Les hélicoptères achetés sont cloués au sol.  Les militaires au front manquent  de munitions. Quand certaines  localités sont attaquées, les militaires ne peuvent intervenir en urgence  par manque de carburant. Voilà les pratiques que nous souhaiterions changer à la suite d’un Accord Politique.  Le pouvoir n’a pas accepté. Alors,  nous  avons refusé de signer l’Accord.

Votre dernier  mot à l’endroit de la population de Gao qui vous écoute sur nos ondes ?

Je demande à la population de Gao de garder son courage, sa bravoure, de continuer à se mobiliser comme du temps de la résistance contre l’occupation des séparatistes, terroristes et  narcotrafiquants en 2012.  Que les populations comprennent que notre  pays retrouvera dans quelques années la stabilité et le progrès. Par rapport à la route Sevaré-Gao, que  les populations restent mobiliser pour exiger sa construction comme les populations de Kayes qui  ont donné l’exemple à suivre.  Je  leur demande de taire  les rivalités politiques (Majorité-Opposition) pour se mobilisés   autour des  questions existentielles,  des questions d’intérêt national. Les populations qui ont voté IBK en 2018  sont aujourd’hui  plus mécontentes et amères  que celles  qui ont voté contre lui. . La désobéissance civile est un droit constitutionnel. A Kayes,  de nos jours, on ne parle pas  de  majorité et d’opposition mais de l’intérêt de la région. Gao devrait en faire de même. Les populations devraient être solidaires et unies pour défendre leurs intérêts. Pendant l’occupation, c’est l’union et la solidarité qui ont permis aux populations  du Nord de faire face aux occupants.

Entretien réalisé par Malick MAIGA, Radio Adar de GAO

Le titre et le surtitre sont de notre rédaction

Source : LE PAYS

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