L’ARGENT-ROI DANS LES ELECTIONS MALIENNES : LA BATAILLE OUBLIEE DU PROJET DE LOI ELECTORALE
L’innovation majeure du projet de loi électorale actuellement au menu du CNT reste l’Autorité Indépendante de Gestion des Élections (AIGE) dont d’ailleurs le montage institutionnel paraît pour le moins boiteux.
Mais passons !
C’est à elle que devrait revenir le monopole du pilotage technique et matériel de l’ensemble du processus électoral. Il est toutefois frappant de constater que d’ores et déjà, l’AIGE a monopolisé le projet de loi électorale au point d’anesthésier la pathologie du cancer de l’argent-roi et de la corruption politique qui gangrène les organes vitaux des élections maliennes.
Cette pathologie est à peine effleurée à travers deux dispositions du projet de loi électorale :
– l’article 4 qui charge l’AIGE « du plafonnement et du contrôle des dépenses de campagne électorale » ;
– et l’article 89 qui renvoie à l’AIGE et ses coordinations pour les actes de corruption politique énumérés à l’article 86(correspondant à l’article 73 de la loi électorale n°2016-048 du 17 octobre 2016 modifiée par la loi n° 2018-014 du 23 avril 2018.
Pour le reste, c’est le statut quo total.
Sans modification même d’une virgule, le projet de loi électorale reproduit textuellement l’article 73 de la loi électorale n°2016-048 du 17 octobre 2016 modifiée par la loi n° 2018-014 du 23 avril 2018 dans son article 86(Nouveau) ainsi libellé : « Les pratiques publicitaires à caractère politique et commercial (offre de tissu, de tee-shirts, d’ustensiles de cuisine, de stylos, de porte-clefs, de calendrier), ainsi que leur port et leur usage, les dons et libéralités en argent ou en nature à des fins de propagande pour influencer ou tenter d’influencer le vote durant la campagne électorale sont interdits dès la convocation du collège électoral. Sont également interdites, les faveurs administratives faites à un candidat quelconque. De même, l’utilisation des biens ou moyens d’une personne morale publique, institution ou organisme public aux mêmes fins est interdite dans les mêmes conditions qu’à l’alinéa précédent… ».
Or, nous savons que jamais, une disposition de la loi électorale n’aura été autant malmenée et méprisée à cause de ses défaillances criardes, le catalogue hétéroclite des pratiques électorales corruptives ayant été érigé en perchoirs politiques pour s’emparer du pouvoir.
Au travers de connivences malsaines entre acteurs politiques (partis et candidats) et électeurs, les campagnes électorales se sont affranchies de toutes entraves juridiques Toujours de plus en plus négociables en matériels et espères sonnantes et trébuchantes, les campagnes électorales au Mali sont réduites à des opérations de dons et libéralités en argent ou en nature.
Après avoir chassé le débat d’idées de l’espace électoral, les achats de conscience qui y ont élu domicile, sont devenus le mode « normal » de campagne électorale y compris le jour du scrutin. L’argent-roi a pris en otage l’ensemble du processus électoral.
L’argent a tellement envahi l’espace électoral que les hommes d’affaires fortunés eux-mêmes ont fini par se dévêtir de la toge du simple bailleur de fonds pour se déguiser directement en politiciens.
Au total, la bataille oubliée du projet de loi électorale est celle des quatre (04) défis suivants qui doivent contribuer à la déposition de l’Empereur Argent -Roi des élections :
L’AIGE OU L’ARBRE QUI CACHE LA FORET?
L’erreur gravissime serait de croire que l’AIGE conduirait automatiquement à des élections transparentes. Le leurre, c’est de s’imaginer que l’AIGE suffirait à elle seule pour régler les multiples maux de la gouvernance électorale au Mali.
De la même manière qu’une urne transparente ne fait pas l’élection transparente, l’AIGE en soi ne saurait aucunement accoucher d’élections transparentes, tant qu’on continue comme l’autruche qui s’enfouit la tête dans le sable, de se bercer d’illusion comme quoi l’administration d’État serait la seule tête de turc de la mal gouvernance électorale au Mali.
Telles qu’elles sont actuellement conçues, les réformes électorales paraissent donner la fâcheuse impression de harcèlement injuste de l’administration d’Etat, tout en perdant de vue que ce sont les politiciens et autres acteurs qu’on voit aujourd’hui la pourfendre en la traitant de tous les péchés d’Israël comme l’unique vecteur de manipulations électorales, sont en fait les vrais fauteurs de trouble électoral.
Il n’existe pas d’administration électorale manipulatrice sans politiciens tricheurs, corrupteurs et manipulateurs qui instrumentalisent impunément les pauvres agents de l’État.
Sans être assez naïf pour prétendre laver l’Administration d’Etat de tout soupçon en la matière, nous estimons cependant que les poches significatives de la fraude et de la corruption électorale sont également et surtout à rechercher dans les états-majors de campagne des partis politiques et des candidats.
L’administration d’État a d’autant moins de prise sur ces déviances qu’elles sont bien souvent tolérées par les acteurs électoraux et cautionnées par une justice parfois complaisante sinon complice.
Au-delà de la quincaillerie d’une AIGE du reste institutionnellement mal montée, le projet de loi électorale aurait besoin de scanner afin de mieux traiter la pathologie du cancer de l’argent-roi et de la corruption politique qui gangrènent les organes vitaux des élections maliennes. (A SUIVRE : II. LES DISPOSITIONS ANTI-CORRUPTION DE LA LOI ELECTORALE SONT D’UNE RÉDACTION MALENCONTREUSE)
Dr Brahima FOMBA, Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJPB)