MAITRE MOUNTAGA TALL A L’AUBE : « Nous engageons le gouvernement à ramener Soumaïla Cissé »
Rapt de Soumaïla Cissé, élections législatives, insécurité, crise scolaire, Coronavirus… ce sont là, entre autres, les sujets abordés par Me Mountaga Tall, président du Cnid et membre du Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD), dans une interview exclusive accordée à L’Aube.
L’Aube : Malgré vos protestations, contestations et mises en garde, les législatives ont eu lieu le 29 mars dernier, quels sont aujourd’hui vos sentiments ?
Me Mountaga Tall : Un formidable gâchis que rien ne peut justifier et que l’on pouvait éviter. Il m’est difficile de comprendre qu’en toute connaissance de cause, des dirigeants décident de maintenir un agenda électoral, alors même qu’ils n’avaient aucun moyen de de faire face à une insécurité qui gagne quotidiennement du terrain du fait de leur incurie et aussi et surtout une pandémie face à laquelle les plus nantis sur terre sont désarmés.
A votre avis pourquoi le pouvoir en place s’est-il entêté à organiser ce scrutin dans un contexte marqué surtout par la pandémie du Covid-19 ?
Les responsables et autres thuriféraires du régime évoque une résolution du Dialogue National Inclusif qui aurait imposé la tenue de cette élection et la mise en place d’une nouvelle assemblée nationale avant le 02 mai 2020. Ce sont là des mensonges et balivernes pour au moins trois raisons. La première est que le pouvoir a toujours refusé que les résolutions du DNI soient exécutoires malgré les demandes insistantes de l’opposition qui n’y a d’ailleurs pas participé pour cette raison. Et l’on veut donner aujourd’hui à cette DNI des pouvoirs qui lui ont toujours été refusés. Ensuite le Covid-19 n’existait pas au moment du DNI et s’il avait existé, non seulement des assises à 2000 personnes auraient été contraires aux mesures gouvernementales mais les participants ne seraient même pas venus pour ne pas s’exposer et jamais ils n’auraient exigé un suicide collectif des maliens. Par ce qu’eux sont responsables. Enfin le DNI n’a jamais décidé de la tenue des élections aux dates indiquées par le Gouvernement : il a soumis à la décision au Président de la République l’organisation des élections assortie de la mise en œuvre de mesures sécuritaires. Le Président en fait une lecture et une application sélectives.
Donc l’alibi ne tenant pas, il faut explorer d’autres pistes dont la plus sérieuse est celle d’un agenda secret qui sera bientôt connu des maliens. Et qui ne l’accepterons pas. Laissons seulement un peu de temps au temps.
Quelles peuvent être les conséquences (politiques) de la tenue de ce scrutin ?
La responsabilité du gouvernement est triplement engagée : pour avoir exposé la vie de millions des maliens avant et pendant le scrutin, créé les conditions d’une crise post-électorale dont le Mali n’a nul besoin et avoir « livré » le Chef de file de l’opposition Soumaila Cissé. Il en aurait lui-même tiré les conséquences si notre République se respectait.
La campagne s’est déroulée sur fond d’insécurité avec le rapt de Soumaïla Cissé, chef de file de l’opposition, quelle est votre réaction ?
Avant Soumaïla Cissé 5 autres candidats avaient été agressés, parfois à coup de balles et dépouillés de leur argent, véhicules et de tous leurs autres biens. C’était une alerte suffisante. L’opposition en général et le Front pour la sauvegarde de la Démocratie (FSD) en particulier tiennent le gouvernement responsable de ce drame. Et l’engage à ramener Soumaila Cissé et les membres de sa délégation sains et saufs.
Le gouvernement avait pourtant indiqué que des dispositions avaient été prises pour assurer la sécurité lors du scrutin ?
Pure communication qui ne sied pas quand la vie de tant de personnes est en cause. Pourtant j’avais clairement indiqué qu’un gouvernement qui ne pouvait assurer la sécurité de ses propres agents ne pouvait bien évidemment sécuriser des élections. D’ailleurs j’invite le gouvernement à publier le bilan sécuritaire des élections. Il ne le fera pas car c’est désastreux.
Pourquoi l’opposition a accepté d’aller à ces élections malgré l’enlèvement de Soumaïla et en dépit de la situation sanitaire qui prévaut ?
La vérité est que les élections devraient être reportées car le Covid-19 ne distingue pas entre les maliens membres de l’opposition ou soutien de la majorité. Mon combat a toujours porté sur la protection des maliens sans aucune distinction. Cela dit, je regrette de n’avoir pas entendu plus de voix pour porter ce message.
Quel regard jetez-vous sur la situation d’ensemble du Mali ?
Nous sommes à tout point de vue dans une situation difficile, presqu’intenable entre de nombreuses crises dont la moindre n’est pas celle de la mauvaise gouvernance faite de corruption, de détournement de deniers publics, d’impunité. Les autres crises (sécuritaires, financières, scolaires, sociales…) qui sont de plus en plus prégnantes découlent de cet effritement de nos repères éthiques. Même dans la gestion du Covid-19 nous en sommes encore à des demi-mesures et sans le moindre accompagnement social.
L’insécurité gagne du terrain notamment au Centre. Quel est votre avis ?
Comment voulez-vous que l’insécurité recule si les fonds alloués pour l’achat des équipements et matériels militaires et la formation de nos hommes sont impunément détournés. Ceux- ci ne manquent pas de bravoure mais ce qui se passe affecte leur moral.
Et quelle solution préconisez-vous pour la résolution de la crise scolaire ?
Le gouvernement ne peut à la fois reconnaitre la légitimité et la légalité des revendications des syndicats enseignants et engager en même temps un bras de fer avec eux. Vous aurez d’ailleurs remarqué que ce gouvernement n’a pas mis à profit la fermeture des écoles pour régler définitivement cette question. Pour lui, c’est un bon débarras. Cette erreur peut être fatale à l’Ecole. Mais que voulez-vous ? Le gouvernement ne pourrait jamais régler cette crise car l’Exigence centrale des syndicats est hors de sa portée : renoncer à la corruption comme mode de gouvernance.
Le Mali enregistre ses premiers cas de COVID 19, que pensez-vous des mesures prises par le gouvernement pour faire face à cette pandémie ?
Le discours officiel ne peut avoir la moindre crédibilité à cause de ses contradictions et de sa pusillanimité. Comment en effet demander à la fois le respect des mesures barrières et l’encouragement à participer aux meetings électoraux ? Vous observerez par ailleurs que nous sommes à ce jour le seul pays à n’avoir adopté aucune mesure d’accompagnement social. Ce qui importe le plus aux pouvoirs publics semble être le renflouement du compte Covid-19 ouvert pour recevoir les contributions des citoyens. Au lieu d’accompagner ceux-ci.
En toute hypothèse, je réitère mon appel au gouvernement à se prononcer sur la vidéo qui présente des locaux insalubres comme lieu de confinement des malades du coronavirus. J’exige une réponse et refuserai que cette affaire soit ainsi enterrée.
Le gouvernement fait appel à la solidarité des Maliens avec l’ouverture d’un compte spécial pour d’éventuelles contributions. Or le chef de l’État avait annoncé le décaissement de 6 milliards de francs CFA… Mais on entend beaucoup de critiques au sein de l’opinion à propos de » contributions ». Quel est votre avis ?
Les contributions institutionnelles afflueront sans doute. Mais le gouvernement aura beaucoup à faire pour réussir une véritable mobilisation sociale en raison d’un manque total de confiance des citoyens en l’action gouvernementale. Je lui souhaite de réussir.
De leur côté les agents de santé à travers l’Ordre des médecins se plaint du manque d’équipements. Votre réaction ?
Les 6 milliards annoncés devraient prioritairement servir à équiper les agents de santé pour leur permettre d’exercer leur mission qui, en l’occurrence est sacerdotale.
Propos recueillis par
C H Sylla