Tiéman Hubert Coulibaly en exclusivité : – « Dans le centre du Mali, les différentes communautés ont des ennemis communs : le terrorisme, la pauvreté, la mal gouvernance » – « Je ne pense pas que les conditions posées par Iyad soient raisonnables »
Le Président de l’Union pour la Démocratie et le Développement (UDD), Tiéman Hubert Coulibaly, était, depuis le début de cette semaine, dans la région de Mopti pour soutenir les candidats de sa formation politique. Dans l’interview qui suit, réalisée lors de notre rencontre à Mopti, il se prononce sur des sujets phares de la vie de notre nation. Sur l’insécurité au centre du Mali, la question de la nécessité de la tenue des législatives, le dialogue avec les chefs djihadistes, les conditions posées par Iyad pour le dialogue avec le Gouvernement malien, le bras de fer entre syndicats d’enseignants et Gouvernement, l’ancien ministre des Affaires Étrangères et de la Coopération Internationale a donné son point de vue et proposé des pistes de solutions.
Lisez l’interview !
Le Pays : Vous êtes dans la 5è région pour des raisons de campagne. Après votre tournée dans les cercles de Mopti, Koro, Bankass, Bandiagara, quel sentiment vous anime quant à vos listes pour cette échéance électorale ?
Tiéman Hubert Coulibaly : Nous sommes très confiants par rapport aux élections qui vont arriver. Nous sommes confiants parce que dans la région de Mopti, nous avons présenté beaucoup de candidats dans les cercles de Mopti, Bandiagara, Bankass, Koro, Tenenkou et Youwarou. Donc, nous sommes vraiment engagés dans cette région et cela se fait consécutivement à un énorme travail d’implantation et d’animation du parti depuis quelques temps. Les conditions de cette campagne sont particulières, parce que les déplacements sont réduits. En quelque sorte, notre capacité à nous déplacer est réduite. A Bandiagara, toutes les listes qui sont en compétition n’arrivent pas à battre campagne comme elles veulent du fait des conditions de sécurité qui ne sont pas bonnes. Cependant, on m’a confirmé à Bandiagara que les partis politiques qui sont engagés tiennent à ce que l’élection se fasse parce qu’il y a un besoin logique de renouveler le mandat des députés, peut-être même de renouveler l’ensemble de l’Assemblée Nationale du Mali. Nous avons besoin d’une Assemblée avec des nouvelles compétences afin que les taches qui attendent les institutions de notre pays soient bien faites. Les Maliens, dans leur ensemble et leur diversité, attendent que des solutions soient appliquées pour que cesse cette confrontation qui n’arrête pas dans la 5ème région et ailleurs. Nous devons trouver les moyens et les astuces pour pouvoir battre campagne, mobiliser nos électeurs et soutenir nos candidats. Et c’est à cela que je m’emplois à Mopti, à Bandiagara, à Bankass et à Koro.
Le centre, précisément le Pays dogon, subit une situation particulièrement difficile. Quelle solution proposez-vous pour le retour de la paix ?
La paix est d’abord une intention. C’est une volonté, mais c’est aussi des moyens matériels qui sont mis en œuvre. Je crois qu’il n’y a aucune communauté, dans le centre du Mali, qui ne désire la paix. Mais cette paix doit se faire sur la base, non seulement de l’équité, mais aussi de la vérité. Nous n’atteindrons jamais une situation de paix tant qu’une frange de notre population ou une partie des acteurs des confrontations actuelles, pensera qu’elle est lésée, qu’elle est tenue pour quantité négligeable. C’est pour cela que le gouvernement et l’ensemble des acteurs qui concourent à établir cette paix, doivent tenir compte de cela. Je pense que des siècles et des siècles d’histoire commune et les liens qui se sont tissés entre les populations, entre les communautés, portent assez de vérités pour que nous puissions trouver de solutions. Toutes les solutions ne résident pas dans l’action armée. Les solutions militaires ne sont qu’une partie de celles qui doivent être mises en œuvre. Il y a des solutions politiques, économiques… Vous n’aurez jamais de paix si la pauvreté fait concurrence avec l’ignorance et si les communautés n’arrivent pas à identifier, elles-mêmes, leurs propres ennemis. Dans le centre du Mali, les différentes communautés ont des ennemis communs : le terrorisme, la pauvreté, la mal gouvernance. Une fois que ces ennemis sont vaincus, il n’y a pas de raison que la réconciliation traine. Elle est bien possible. Et il n’y a pas de raison que ceux qui vivaient ensemble de façon harmonieuse ne puissent recommencer leur vie normale. Je pense que la paix est à la portée de main, si nous mettons en œuvre les différentes solutions sur le plan militaire, politique, administratif, financier et judiciaire. Il faut arrêter de faire monter les communautés les unes contre les autres. Il faut arrêter de faire croire que telle ou telle autre est la source des problèmes.
Iyad a accepté l’hypothèse de négociations avec les autorités maliennes pour la sortie de crise. Êtes-vous d’avis pour ce processus ?
Une crise comme celle que connait le Mali oblige les gouvernants à réfléchir aux solutions qui sont disponibles. Il faut que ceux qui ont la décision s’assurent que les solutions disponibles sont conformes aux intérêts de l’ensemble des Maliens. Quand vous êtes en conflit, vous êtes obligés, si vous voulez la paix, d’accepter de parler à celui avec qui vous êtes en conflit. C’est le premier chemin vers la paix. Mais encore une fois, vous devez valider la solution par rapport aux intérêts de l’ensemble de la nation. De ce point de vu là, j’observe que la question du dialogue est avec un certain nombre d’acteurs sur table depuis quelques semaines. Je pense que de telles actions, quand elles font l’objet de trop de publicité, perdent immédiatement leur efficacité. Il convient de conduire ces actions dans la plus grande discrétion, parce que le processus qui est engagé risque d’être soumis à des pressions exogènes. Quand je dis de pressions exogènes, je ne parle pas forcement des pressions venants de l’extérieur, je parle bien des pressions venant de l’intérieur, mais qui ne sont pas forcément de nature à faciliter ce qu’on a l’intention de faire. Le dialogue est une vertu mais quand on dialogue, les conditions qui sont posées par ceux qui sont invités au dialogue doivent être des conditions acceptables et intelligentes. Si en engageant un dialogue, vous posez des conditions dont vous savez que leur mise en œuvre entraine un blocage, je doute en ce moment de votre véritable intention de dialoguer. Conduire de tels processus requiert beaucoup de discrétion pour être efficace.
–Votre appréciation quant à la condition posée par Iyad, le fait de conditionner la négociation au retrait des troupes étrangères, particulièrement celles françaises ?
J’observe que les partenaires du Mali, depuis plusieurs années, ont contribué positivement à ce que notre territoire soit défendu. Nous avons dit qu’il fallait respecter le caractère laïc et républicain de notre État. Nous avons aussi dit qu’il ne fallait jamais remettre en cause le fait unitaire de la nation malienne. Quand une nation a des difficultés de cet ordre, dès lors que le problème devient aigu et que les moyens internes nationaux ne suffisent pas pour y faire face, en général, elle fait appel à des amis. Faut-il, pendant que nos amis se battent pour défendre nos valeurs républicaines, renoncer à ce partenariat pour qu’un dialogue puisse être engagé ? Je ne pense pas que ce soit une condition raisonnable. Nous avons besoin de nos amis, que ce soit la Minusma, la force barkhane… qui nous ont aidé à plusieurs reprises à combattre des forces qui voulaient imposer leur points de vue contraires aux principes républicains et laïcs de notre pays. Un processus de dialogue avec ces groupes ne doit pas reposer sur des conditions exclusives. Il faut qu’il repose sur des conditions raisonnables. Si avant d’engager un dialogue, des conditions posées dont la mise en œuvre mettrait en péril immédiatement l’équilibre présent, je ne pense pas que cela soit raisonnable.
Le retour de l’armée reconstituée à Kidal a suscité beaucoup de divergences de vue. En tant qu’ancien ministre de la Défense, quelle est votre appréciation ?
Ces questions militaires suscitent beaucoup de commentaires, souvent d’acteurs, mais dont l’expertise en matière de sécurité n’est pas toujours établie. Ce processus apportera satisfaction étape après étape. Le dispositif de l’armée malienne qui, aujourd’hui, est positionné à Kidal, est un début. Nous devons prendre du temps pour que ce dispositif prenne ses marques dans la région de Kidal et puisse être renforcé par d’autres forces additionnelles. La paix et la réconciliation sont aussi une question de confiance. Il ne faut pas, dès lors qu’une action est posée, commencer à la critiquer, à montrer ses points faibles, même à la traiter avec dérision pour décrédibiliser ceux qui sont à la base de l’initiative. Je ne suis pas de ceux qui, toute de suite, jugent de la pertinence et de l’efficacité de telle ou telle action avant d’avoir donné le temps, et avant d’avoir compléter la panoplie d’actions nécessaires à ce que le résultat puisse être visible. Les questions militaires revêtent des aspects qui ne peuvent pas être perçus immédiatement par ceux qui ne sont pas initiés.
Entre gouvernement et syndicats d’enseignants, la situation se corse sur l’application de l’article39. Quelle lecture faites-vous de cette situation et quelles sont vos propositions ?
Les questions sociales sont de plus en plus aiguës. Nous sommes en crise depuis plusieurs années. Et dans une crise telle que celle du Mali, nous avons immédiatement vécu les conséquences militaires, administratives, humanitaires de la déstabilisation. Les conséquences et les effets économiques prennent du temps pour être visibles. Donc aujourd’hui, nous sommes face à la manifestation des conséquences économiques de la crise. A voir seulement la construction budgétaire de 2020, nous avons bien des difficultés en termes de ressources intérieures. Or, dans le même temps et légitimement, le monde des travailleurs en général exprime des demandes quant à leurs conditions. C’est légitime parce que plus on avance, plus la vie coûte chère. Les demandes sont légitimes mais elles s’expriment dans un cadre absolument contraint. Mais le travail du Gouvernement est de trouver de solutions. Il faut trouver des solutions négociées, concertées. Mais une fois que cela est fait et que des décisions sont prises, il convient de les respecter. Aujourd’hui, les parties doivent s’écouter. Il faut qu’elles acceptent d’analyser cette situation dans le calme et dans la sérénité, sans passion et que les uns et les autres sachent ce qui est possible de faire, et ce qui pourrait être différé compte tenu des moyens de l’État. Mais tout cela doit se passer dans un cadre de dialogue sociale sincère et réel. Nous appelons le Gouvernement à plus d’écoute, et les syndicats à une disponibilité intelligente, à une analyse de la situation globale du pays, afin que des solutions concertées et négociées puissent être trouvées. Je crois que nous devons aujourd’hui engager une grande réflexion sur les questions sociales, notamment la question des revenus de l’État pour que le monde syndical taise progressivement ses revendications et que les travailleurs puissent obtenir satisfaction.
Réalisée par Boubacar Yalkoué et Boureima Guindo
Source : LE PAYS