POINT DE VUEPOLITIQUE

VICES DU PROJET DE LOI D’HABILITATION : Boubou Cissé, un PM sans programme ni politique !

Un vrai pied de nez à la Constitution du Mali de la part du Président IBK et de son Premier ministre Boubou CISSE que le projet de loi d’habilitation adopté au Conseil des ministres du 1er avril 2020 ! Par ce projet de loi, le gouvernement sollicite de l’Assemblée nationale, une habilitation législative couvrant la période du 1er avril 2020 à l’installation de la nouvelle Assemblée nationale. Au cours de cette période, le gouvernement entend pouvoir légiférer si nécessaire par ordonnance sur les matières suivantes qui relèvent du domaine de la loi : la création, l’organisation et le contrôle des services et organismes publics ; l’organisation de la production ; les statuts du personnel ; l’approbation ou la ratification de traités et accords internationaux.

Voici donc un Premier ministre illustre inconnu à l’Assemblée nationale qu’il a superbement boudée depuis sa nomination en violation de la Constitution, qui vient de solliciter de cette même Assemblée qu’elle l’autorise à légiférerez par ordonnance. A quelle fin ?

Refus d’obtempérer à une obligation constitutionnelle

En son article 78, la Constitution dispose que « le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres engage devant l’Assemblée la responsabilité du gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale ». Outre la Constitution, la présentation du programme ou de la déclaration de politique générale fait l’objet d’attention particulière de la part du règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui en fixe les modalités y compris dans les moindres détails. Si le Premier ministre « engage » comme stipulé à l’article 78 de la Constitution, la responsabilité du gouvernement sur son programme ou sa déclaration de politique générale, c’est qu’il s’agit bien d’une formalité substantielle dont le caractère obligatoire ne peut faire l’objet de débat. Sa méconnaissance par le Premier ministre Boubou CISSE ne peut en conséquence s’interpréter que comme une violation délibérée de la Loi fondamentale du pays.  Une violation d’autant plus inadmissible que nous savons par ailleurs que la même constitution à l’article 79 que la désapprobation d’un programme ou d’une déclaration de politique générale a comme conséquence la démission du gouvernement. Si cette disposition constitutionnelle et de nature quasi organique n’est pas qu’une banale clause de style, comment le Président IBK et son Premier ministre Boubou pourraient-ils expliquer aux Maliens la raison pour laquelle elle est ainsi piétinée ? La question se pose et interpelle fortement quant au manque de considération des plus hautes autorités du pays pour l’Etat de droit dans notre pays. Le respect de l’Etat de droit ne serait-il aux yeux du Président IBK et de son Premier ministre qu’un luxe superflu et inutile ? Pourquoi depuis sa nomination intervenue le 23 avril 2019 jusqu’à ce jour 6 avril 2020, le Premier ministre Boubou CISSE ne s’est-il pas plié à l’obligation de l’article 78 de la Constitution qui lui impose de présenter devant l’Assemblée nationale son programme ou sa déclaration de politique générale ?

En réalité l’Assemblée nationale actuelle n’en est pas une et les députés sortants qui sont constitutionnellement sortis depuis le 31 décembre 2018, ne sont que des usurpateurs patentés d’un mandat national auquel ils n’avaient plus droit. Il est tout aussi vrai que la Cour constitutionnelle s’est associée à ce braquage juridique de constitutionnalisation forcée de la prorogation de mandat des députés. Du coup, le Président IBK et son premier ministre Boubou CISSE ne sauraient brandir d’excuses quelconques pour justifier l’inacceptable violation de l’article 78 de la Constitution. En même temps, il est totalement incohérent de la part d’un Premier ministre sans programme ni politique de gouvernement de solliciter une habilitation législative de l’Assemblée nationale.

Une habilitation législative à un Premier ministre sans programme ni politique de gouvernement : pour quoi faire ?

A quoi va servir cette habilitation législative sinon qu’à pervertir d’avantage la lettre et l’esprit de la Constitution ? L’habilitation législative suppose l’existence d’un programme ou d’une politique pour l’exécution duquel le gouvernement sollicite les députés, comme stipulé ainsi qu’il suit à l’article 74 de la Constitution : « Le Gouvernement peut, pour l’exécution de son programme ……, demander au parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité ou entre les deux sessions, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ».

Boubou CISSE, sans aucun programme ni politique, voudrait gouverner par ordonnances gouvernementales pour quoi faire ? Nous insistons sur l’expression « ordonnances gouvernementales » puisque selonla Constitution, le pouvoir d’initier et de prendre une ordonnance revient de droit au Premier ministre en tant que chef du gouvernement et non au Président de la République. La seule attribution du Président de la République en la matière renvoie à l’article 46 de la Constitution disposant que c’est le Président de la République qui signe les ordonnances. Le Président signe les ordonnances, mais c’est le gouvernement dirigé par le Premier ministre qui les édicte.  Un Premier ministre décidément allergique à la Constitution aux lois de la République ?

Un Premier ministre allergique à l’Etat de droit ?

En tout état de cause, Boubou CISSE restera un cas dans les annales politiques du Mali. Il paraît jeune mais d’une conception assez rétrograde du pouvoir n’ayant finalement pas grand-chose à envier du passé. Il semble ne retenir de la notion d’Etat de droit que le droit pour lui seul de tout se permettre au sein de la République. Celui d’être à la fois Premier ministre et ministre des Finances. Celui d’observer un refus catégorique à l’application de l’article 39 de la loi n°2018-007 du 16 janvier 2018 portant Statut du personnel enseignant de l’Enseignement secondaire, de l’Enseignement fondamental et de l’Education préscolaire et spéciale. Celui enfin, de s’asseoir sur son obligation constitutionnelle de l’article 78 tout en lorgnant le bénéfice de l’article 74. Le Premier ministre, Boubou CISSE, s’est spécialisé dans l’application à la carte, au gré de ses humeurs, de la Constitution et des lois de la République. La deuxième session de l’Assemblée nationale ouverte ce lundi 6 avril 2020 appelée à plancher sur la demande d’habilitation législative du gouvernement devrait tirer les conséquences politiques de cette versatilité anti-républicaine.

Dr Brahima FOMBA

Université des Sciences Juridiques

et Politiques de Bamako (USJP)

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