Alpha Salloum Haidara, Coauteur de Terres fertiles empoissonnées : « On ne peut pas aller de l’avant sans que nous ne soyions nous-mêmes acteurs de cette avancée »
Après Nos cris et nos Larmes, Alpha Salloum Haidara, poète, directeur et fondateur de la maison d’édition Innov Éditions, vient de mettre au service du public littéraire un autre recueil de poèmes, Terres fertiles empoissonnées. Un recueil écrit en collaboration avec le Camerounais Gervains de Collins. Les poèmes rassemblés au sein de ce recueil sont tous des poèmes tantôt pour décrire les immenses richesses du continent africain et tantôt décrier tous les maux dont souffre le berceau de l’humanité. Lisez l’entretien !
Le Pays : Bonjour monsieur Alpha Salloum Haidara. Nous avons sous la main votre livre ‘’Terres fertiles empoisonnées’’, un recueil de poèmes que vous avez écrit en compagnie de Gervain de Collins. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ce titre ?
Alpha Salloum Haidara : j’avoue qu’on a beaucoup réfléchi sur le titre vu que c’est un livre qui est véritablement engagé et qui essaie de mettre à nu tout ce que nous sommes en train de vivre ici en Afrique comme problème. Des problèmes qui existent malgré la richesse de ce continent et la place qu’il occupe dans le monde. Mais pourquoi ‘’Terres fertiles empoisonnées ? Parce qu’il est clair que l’Afrique est une terre fertile. La question que nous nous sommes posée est : est-ce que réellement l’Afrique survit avec tout ce que nous avons comme richesse? Le sous-sol est très riche. Malgré tout cela, nous n’arrivons pas à nous en sortir ou même pas à régler le minimum de chose. Qu’est-ce qui se passe alors ? Personne ne peut nier la richesse de l’Afrique, personne ne peut encore nier la pauvreté de l’Afrique, la manière dont l’Afrique elle est traitée, et souvent par ses propres enfants. Alors vu tous ces problèmes-là, nous, nous avons opté pour le titre ‘’Terres fertiles empoisonnées’ ’pour montrer aux gens qu’en réalité, l’Afrique est une terre fertile, l’Afrique a un grand potentiel, elle a de la valeur, mais elle a été empoisonné et souvent je le dis et je le répète par ses propres enfants.
Pourquoi pour parler de tous ces problèmes dont souffre l’Afrique vous avez choisi comme coauteur Gervain de Collins?
Je ne dirais pas que c’est un choix. Je peux juste dire que c’est quelque chose qui est venu tout naturellement parce que c’est un ami, c’est un grand frère que j’ai connu. Il est Camerounais. On parlait à un moment des problèmes dont traite ce recueil. Alors nous avons décidé d’écrire ensemble afin d’associer dans un seul bouquin nos façons de voir. Cela, depuis vers 2013 après l’évènement du nord du Mali. Cette coécriture n’est pas quelque chose qui a été véritablement muri. Dire que j’avais un projet et que je cherchais un coauteur. Non, je ne cherchais pas un coauteur. Gervain, c’est un poète qui a écrit plusieurs ouvrages. Lui, il est du Cameroun et je suis du Mali. Dans nos deux pays, on vit des problèmes, et dans d’autres pays aussi de l’Afrique, c’est pareil. De toute façon, nous sommes des Africains, donc, nous nous sommes dit, essayons vraiment d’unir nos plumes pour essayer de décrier un peu ce fléau et tout ce qui se passe dans ce continent. C’est comme ça qu’est venue l’idée et puis on s’est mis à l’écrire quand on n’a terminé, nous nous sommes décidés naturellement à en faire.
Dans ce recueil, nous constatons que votre premier poème parle des albinos. Peut-on comprendre cet engagement ?
Bien sûr parce que nous sommes dans un pays où les albinos n’ont jamais été compris. Nous sommes dans un pays ou les albinos, souvent, ne sont pas considérés comme des humains. L’albinisme n’est qu’une maladie. Si l’homme ose utiliser son prochain comme sacrifice, moi je dirais juste que c’est de la cruauté pire et dure. Je suis engagé dans ce combat parce qu’actuellement les albinos sont en train de subir beaucoup d’atrocités. J’ai alors décidé de dédier mon premier poème à l’albinisme afin de dénoncer ce que vivent ces innocents. À cause d’une simple couleur, d’une malformation, je suis traité de tous les noms. Par qui? Par mon entourage, la société et pourquoi ? Les albinos ne sont-ils pas des créatures de Dieu ? Ils ont été créés de la même manière que les autres. Mais pourquoi tous ces crimes de lèche-lâcheté ? S’ils n’ont pas de place dans cette société que d’être utilisés comme sacrifice alors il faut décrier ce statu quo avec la dernière énergie. Ce problème existe au Mali, je pense aussi que ça existe dans d’autres pays.
À travers aussi le poème, ‘’humain ou chien’’, notamment ce passage :
Des enfants qu’on assassine comme de la viande grillant
Les femmes on les calcine dans un bain de sang,
Les innocents on les guillotine
Alors, sommes-nous des humains ou des chiens?
Que nous parlez-vous ? Faut-il comprendre une dénonciation de la peine de mort ou des problèmes d’incinération des voleurs?
C’est une dénonciation de la peine de mort, c’est une dénonciation du viol, de la violence. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il y’a trop de violences, il y’a trop de morts dans nos familles. Ces hommes qui assassinent leurs compagnes, leurs épouses. Tout récemment, je pense au cas de Mariam Diallo qui a été assassinée. Pourquoi? Rien ne doit nous amener à assassiner une personne avec qui on a décidé de vivre ensemble. C’est pourquoi souvent je me demande si nous sommes des humains ou des chiens. Parce que, même les chiens ne commettent pas ces genres de bavures. Si tu décides de vivre en compagnie de quelqu’un, s’il te fait du mal, tu as la liberté, le pouvoir de mettre fin à la relation et non pas le pouvoir de mettre fin à sa vie. La justice est là pour mieux gérer ces cas. Les autorités compétentes sont présentes. C’est vraiment quelque chose qui prend de l’ampleur dans notre pays et je me suis dit que ça mérite vraiment d’être dénoncé dans ce livre.
Nous savons que les violences se multiplient dans notre société, ce qui, tout récemment, a amené les religieux à demander l’application de la peine de mort. En tant que poète, partagez-vous cet avis des religieux ?
Je ne sais pas si je vais répondre en tant que poète. Je répondrai simplement en tant que citoyen. La peine de mort, je me demande si réellement c’est la solution à tout ce que nous traversons aujourd’hui. En tout cas, c’est un mal qui ne doit pas rester impuni. Que ça soit la peine de mort ou une autre punition, une chose reste claire, ceux qui commettent des cruautés de ce genre doivent être véritablement punis, et de la manière la plus sévère. Ça peut être la peine de mort tout comme autre sanction. Ceux qui sont compétents en la matière peuvent en dire plus.
Pouvez-vous nous expliquer le poème Cour en four ?
‘’Cour en four’’, c’est toujours dans le cadre de cette vie en communauté, en famille. En le lisant, d’autres pourront peut-être penser que je dénonce la polygamie. Or, je ne suis pas contre la polygamie. Mais, je me dis juste que quand on choisit d’être un polygame, on doit choisir aussi d’être un responsable dans son foyer. Il y a de ces familles où on ne peut pas passer une journée sans entendre des coups, des cris. La polygamie n’est pas grave puisque ç’a été dit dans le saint coran. Je suis musulman et je l’approuve. Si tu décides de le faire, il y a quand-même des règles à respecter. On ne peut pas décider de mettre des femmes ensemble dans une même maison et les laisser se battre comme des animaux, comme du bétail. Ce n’est pas possible. Donc, c’est pour dire que souvent, la polygamie n’est pas une fin en soi. C’est un choix et si on le fait, il faudra aussi s’assumer en étant vraiment honnête entre ses épouses, en essayant de mettre un minimum de règles. Ce sont les femmes qui sont victimes de ces problèmes. C’est elles qui sont battues, tantôt c’est les enfants, du coup on dérange le voisinage. Ça provoque souvent la méchanceté, la haine entre les enfants du même sang. Toutes ces fautes ne doivent pas être rejetées à la femme, mais souvent au mari. S’il a eu la possibilité d’amener toutes ces femmes, il doit avoir la même possibilité de les gérer. Ce poème est une manière de décrier, de dire si on décide d’être polygame, il ne faut pas laisser la famille à elle-même. Juste amener de la nourriture et penser que c’est le plus important n’est pas la solution, il faut aussi faire en sorte que cette famille ne se transforme pas en une poudrière.
Comment désintoxiquer ces terres fertiles empoissonnées ?
La désintoxication, ça vient du bas, ça va vers le haut, c’est-à-dire, on a besoin de la population et aussi de l’autorité. On a besoin qu’il y’ait de la quiétude et de la paix dans nos familles, dans nos communautés et dans nos voisinages. Cela passe par l’honnêteté avec soi-même d’abord, et avec les autres. On doit arrêter les commérages et la méchanceté et s’adonner au travail. L’Afrique est envahie par beaucoup de choses. Premièrement, la jeunesse ne travaille pas, les gouvernants, tout comme les gouvernés sont irresponsables. L’irresponsabilité est dans nos écoles et dans les familles. Nous devons vraiment revenir sur terre. Tous ces continents, ces pays qui se sont construits et émergés sont partis de cela. On ne peut pas aller de l’avant sans que nous ne soyions nous-mêmes acteurs de cette avancée, et cela sur tous les plans, dans nos lieux de travail, dans nos familles, dans nos villages et dans nos villes. On a besoin d’un minimum de responsabilité, d’engagement et d’intégrité. L’Afrique a été trahie par ces propres enfants, car, ils ne sont pas travailleurs et ils ne sont pas honnêtes envers ce continent. C’est pourquoi ces terres ont été empoisonnées. Pour les désintoxiquer, il faut désintoxiquer les familles d’abord, il faut qu’il y’ait une paix et une cohésion sociale. Et sur le plan économique, c’est la même chose. C’est lorsqu’il semble y’avoir une crise que les commerçants commencent à vendre leurs produits au triple ou même le quadruple du prix initial. Mais c’est une guerre économique que la loi doit réguler du fait que l’Afrique reste dans l’ombre et du fait que rien ne se fait comme il se doit. La loi n’est pas appliquée, elle doit être appliquée, parce que si on laisse chacun faire ce qu’il veut, rien ne sera normal dans ce continent, absolument rien. Au niveau de l’immigration, les gens décident de partir parce qu’ils sont désespérés. Là où ils partent, ce sont des hommes et des femmes qui ont bâti ces lieux. Ce ne sont pas des nations descendues du ciel. C’était des terres vagues qui ont été construites par des hommes qui voulaient aller de l’avant. Parce qu’ils ont cru à ce qu’ils font, c’est pourquoi ils ont décidé de se donner la main pour aller de l’avant. Mais à longueur de journée, nos citoyens ne cessent de partir vers ces gens-là qui les maltraitent toujours. Du moment où vous n’avez pas pu amener la paix chez vous, vous n’avez pas su vous entendre afin de travailler chez vous, mais vous allez chercher quoi là-bas? C’est un peu ça la désintoxication. C’est sur plusieurs volets.
Avez-vous un dernier mot ?
Je m’adresse toujours à la jeunesse. Nous sommes au présent, ce n’est pas normal que nos enfants et nos petits enfants viennent trouver les mêmes problèmes. Nous sommes conscients de ce qui s’est passé, on n’a pas trouvé une solution. Nous, nous sommes là en tant que jeunes, nous avons l’obligation de changer l’héritage que nous sommes venus trouver; nos enfants et nos petits-enfants méritent mieux. Ils méritent de trouver une Afrique émergente, une Afrique développée. Il n’y a que la jeunesse qui puisse régler le problème de la jeunesse, et sortir l’Afrique de ces exploitations. Battons-nous, soyons responsables, arrêtons de nous lamenter, de faire toujours recours au passé ! D’autres diront que nous avons besoin de l’Afrique d’avant, moi je dirai non, on n’a pas besoin d’une renaissance, mais d’une Afrique nouvelle, une toute nouvelle Afrique, et cela ne peut être possible qu’avec cette jeunesse-là. La jeunesse doit divorcer avec le passé pour voir la réalité en face afin de construire l’avenir. Pour que l’Afrique puisse être au même pied d’égalité que les autres continents du monde, sinon, je dirais même que si cette jeunesse se met au travail, ça serait normal que l’Afrique soit le premier dans ce monde, ce n’est qu’une question de choix. La jeunesse a le choix soit de faire avancer ce continent, car c’est possible avec toutes ces potentialités, soit de rester et de voir ce continent périr.
Réalisé par Fousseni TOGOLA
Source : www.lepays.ml